Quatrième meilleure performeuse française de tous les temps à la longueur, grâce à un saut à 6,86 m le week-end dernier à Pézenas, Hilary Kpatcha est de retour. L’athlète de 25 ans a dû repartir de zéro après s’être gravement blessée au genou en 2021. Après s’être consacrée pleinement à sa rééducation, l’athlète du CA Balma a repris ses études en licence de ressources humaines en début d’année et est désormais pleinement épanouie. Elle retrouvera l’équipe de France dans dix jours à Chorzow (Pologne) pour leschampionnats d’Europe par équipes.
Qu’avez-vous ressenti après votre bond à 6,86 m lors du meeting de Pézenas ?
J’étais ravie, je ne m’attendais pas à revenir comme ça, surtout aussi tôt dans la saison. C’est le résultat de beaucoup de boulot. Ce saut me fait beaucoup de bien, même s’il n’y avait pas un gros enjeu lors de la compétition. J’ai pris le temps de construire mon concours.
Vous n’aviez jusque-là dépassé qu’une fois la barrière des 6,80 m. C’était en 2019 avec un bond à 6,81 m pour décrocher le titre européens chez les espoirs à Gävle (Suède). Pouvez-vous comparer ces deux concours ?
Ils sont très différents. Aux Europe espoirs, j’étais très fière de moi, je ne m’attendais pas à aller aussi loin. Mais à cette époque-là, je mettais une énergie folle dans chaque saut, c’était autant viscéral que néfaste pour moi, car ça me mettait presque en danger. Ce deuxième passage au-delà des 6,80 m me fait d’autant plus plaisir que je reviens de blessure. Je bats mon record, je me sens beaucoup plus forte, plus solide. Je suis capable de sortir 6,86 m en fin de concours (NDLR : au dernier essai), doncon peut dire que je suis à mon meilleur niveau.
Vous en étiez restée à 6,41 m jusque-là, depuis le début de la saison. Y a-t-il eu un déclic ?
Oui, mais il a eu lieu bien avant la compétition, lorsque j’ai terminé quatrième des France Elite indoor avec 6,30 m. Ca m’a déstabilisée et fait mal. Ça a été un moment difficile, puisque je n’aime pas perdre. J’avais envie de montrer plus. Mais je pense que j’avais besoin de passer par là pour « me recentrer » sur moi-même. Je mettais beaucoup d’énergie dans des choses qui ne m’étaient pas réellement utiles. J’ai pu me remettre en question après cet échec. Cet hiver, j’étais très spectatrice et pas actrice,je me regardais, j’essayais d’être bonne techniquement.
Vous allez retrouver le maillot de l’équipe de France à Chorzow, dans dix jours, à l’occasion des championnats d’Europe par équipes…
J’ai envie de briller lors des grands championnats, où je me sens capable de me transcender. C’est très important pour moi de porter à nouveau ces couleurs, mais surtout d’être en pleine forme lors des compétitions avec les Bleus.
C’est sur ce même stade et lors de la même compétition que vous vous étiez gravement blessée en 2021 (rupture du ligament croisé du genou gauche et du ligament du péroné). Comment avez-vous traversé ces deux dernières années sur le plan mental ?
Je suis passée par beaucoup de choses. Je me suis blessée à quelques mois des Jeux olympiques. La rééducation a ensuite été compliquée et assez longue. En décembre 2021, j’ai traversé la plus grosse déprime de toute ma vie. Puis, en octobre dernier, j’ai perdu mon coach, Jean-Luc Sénat.
Avez-vous douté de votre capacité à revenir au plus haut niveau ?
Un peu, mais au fond de moi, il y avait quand même une petite voix qui me disait que j’allais y arriver, parce que je pense que je suis une fille très déterminée, travailleuse et qui suit ses intuitions. Le jour où je me suis blessée, je savais qu'il fallait à tout prix que je me relève. Je me disais vraiment que s’il y avait une personne à qui ça devait arriver, c’était moi, parce que j'avais le mental et que le corps ferait ensuite en sorte de suivre.
Vous avez pu compter sur le soutien de vos proches ?
Oui, ma famille m’a soutenue, même s’ils ne comprenaient pas vraiment ce qui se passait. Ils étaient habitués à me voir hyper forte, en tout cas de façade, donc ça a aussi été un choc pour eux de me voir triste. En fait, tout ce qu’on attend quand on est blessé, c’est qu’on nous laisse exprimer nos émotions.
Selon vous, cette épreuve vous a-t-elle rendue plus forte ?
Clairement ! Là, je sais que je peux me casser un deuxième genou, pas de problèmes (rires). C’est qu’il y aura encore des choses qui n’allaient pas. Je me suis blessée parce que je n’écoutais pas mon corps. C’était comme si ma tête représentait le gouvernement et mon corps les citoyens, au sein d’un régime totalitaire (rires) ! J'étais totalement en contradiction avec qui j'étais. Si je veux construire sur le long terme, je ne peux plus utiliser l’instinct de survie lors de chaque compétition, mais seulementpendant les grands championnats. Aujourd’hui, je ne me mets plus dans des états pareils. Mon objectif est de gagner en régularité, en tournant autour des 6,50 m, 6,60 m. Je suis tellement heureuse d’avoir atteint ce niveau de maturité dans la gestion de mes émotions.
Propos recueillis par Yannis Passerel pour athle.fr